URL

https://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.126.034502
ou
https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.08.04.20168468v1

Type d’article

Article peer-reviewed

Thème

Transmission par aérosols

Que retenir de cet article, en 1-2 phrases ?

L’article présente une étude statistique de la durée de vie d’un brouillard de gouttelettes expulsées dans un environnement où l’humidité relative varie dans le temps et l’espace, et sujettes à un écoulement turbulent. Cette durée de vie moyenne est bien supérieure à celle prédite par le modèle de Wells, sur lequel la loi des 6-pieds de distance était basée.

Objectifs de l’étude / Questions abordées

Le but de l’étude est de quantifier l’évolution spatio-temporelle d’un nuage de gouttelettes dans un environnement d’humidité fixée, par la résolution numérique haute-fidélité des équations de la dynamique des fluides, couplées à l’évaporation des gouttelettes dans un champ d’humidité relative lui aussi variable dans le temps et l’espace. Il s’agit de délivrer une prédiction quantitative fiable quant à la distribution des durées de vie des gouttelettes, et de proposer un critère de distanciation entre individus au sein d’un même espace. Les préconisations sanitaires pour le grand public étaient basées sur l’étude des trajectoires de gouttes individuelles, calculées sans la prise en compte de l’influence du champ d’humidité relative. Jusqu’alors, le taux d’évaporation de chaque goutte, et donc sa durée de vie, était estimé dans un champ d’humidité relative homogène et égal à celle de l’atmosphère loin du lieu d’émission des gouttes. Ici, chaque goutte s’évapore beaucoup moins vite en raison de la forte humidité relative régnant au cœur du nuage de gouttes.
En ce sens, cette étude propose un critère de distanciation entre individus prenant en compte la complexité du couplage entre la trajectoire de chaque goutte, l’évolution spatio-temporelle du champ d’humidité relative et la cinétique d’évaporation de chaque goutte. L’humidité relative de l’environnement est bien sûr prise en compte, et la distance minimale proposée dépend aussi de ce paramètre.

Méthode

Les auteurs ont fait appel à des simulations numériques complètes des équations de l’hydrodynamique (de Navier-Stokes), une équation aux dérivées partielles non-linéaire régissant la dynamique spatio-temporelle de particules fluides, et couplées à la thermodynamique de l’évaporation via le champ d’humidité relative variant avec le temps et les variables d’espace. Ces équations couplées sont résolues sur plusieurs clusters de calculs Européens (dont un français). Les mouvements des gouttes et de l’air ambiant sont engendrés par la seule impulsion initiale du brouillard de gouttelettes (aérosol). Concrètement, il s’agit de prescrire une vitesse initiale localement, qui va ensuite se communiquer à tout le domaine de calcul. Dans la gamme réaliste des vitesses constatées expérimentalement, l’écoulement devient turbulent ce qui implique l’apparition de tourbillons et d’un écoulement relativement désordonné, bien que conservant partiellement sa directionalité initiale. Quant aux trajectoires des gouttes elles-mêmes, en même temps qu’être transportées par l’écoulement local, elles sont sujettes à un freinage dû à la viscosité ou à l’inertie du fluide, un effet entièrement contenu dans l’équation de Navier-Stokes.
D’un point de vue purement formel du schéma numérique et des codes de calculs utilisés, les auteurs mentionnent les précisions techniques suivantes : “To numerically solve the equations, we used our finite difference solver AFiD, with high performance Message Passing Interface (MPI) and point-particle model. The size of the computational domain in dimensional form is 0:18m (spanwise length) 0:37m (height) 1:47m (streamwise length) and is tested to be large enough to capture the cough vapour and spreading droplets. The grid points chosen is 256x512x2048 to ensure that enough resolution has been employed. The mouth is modelled as a circular inlet centred at mid-height of the domain.”

Résultats principaux

L’étude montre principalement l’influence très importante de l’humidité locale sur la durée de vie de chaque gouttelette de l’aérosol. La conséquence est que la durée de vie des gouttes peut être multipliée par 100 voire plus, notamment pour les gouttes les plus petites, ce qui leur permet de voyager plus loin de l’individu qui a parlé/toussé/éternué.
Les résultats sont présentés sous plusieurs formes :

  • une distribution statistique de durée de vie des gouttes en fonction de leur diamètre initial (Figure 2) pour deux valeurs d’humidité relative ambiante modérée et forte (50 et 90%), comparée aux valeurs prédites par le modèle simplifié de Wells. La même figure donne aussi la distribution de variation relative de surface des gouttes, ainsi que l’humidité relative locale autour de chaque goutte.
  • la distribution spatio-temporelle de l’humidité relative, ainsi que l’histogramme de durée de vie des gouttes (représentées en code couleur) en fonction de leur diamètre, pour deux valeurs d’humidité relative ambiante.
  • l’augmentation de durée de vie relative des gouttes de diamètre 10 et 20 microns due à la prise en compte de l’humidité locale dans l’évaporation, en fonction de l’humidité relative ambiante : on a des ratios entre durée de vie prédite et durée de vie dans le modèle classique de Wells qui vont en gros de 25 à 150 !
    Au delà des résultats de l’étude, l’article offre une revue bibliographique actuelle et exhaustive sur le domaine, en mentionnant notamment des expériences récentes de visualisations directes de trajectoires de nuages de gouttes.

Commentaire / brève évaluation, limites, ouvertures possibles

Il s’agit d’une étude prédictive et quantitative très aboutie, même si l’effet décrit n’est pas fondamentalement surprenant d’un point de vue qualitatif. Vraisemblablement, cette étude pourra servir de référence pour les futures expériences (validation). Concernant les auteurs eux-mêmes, la poursuite de l’étude vers l’obtention de résultats plus exhaustifs, en faisant varier notamment la distribution initiale de taille des gouttes, la vitesse d’éjection, l’humidité, l’ajout d’un éventuel « vent » additionnel … sera essentielle pour quantifier les différentes situations rencontrées dans la contamination par aérosols. Ici, l’objectif était de publier en format « lettre » ce qui a conduit les auteurs à limiter leur gamme de paramètres.